Te souviens-tu de l’époque où tu pensais que quelques rubans de plus dans tes cheveux te rendraient plus jolie ? Ou celle durant laquelle tu croyais que les cheveux lisses te rendraient plus séduisante et que tu dirais de toutes tes forces dans l’espoir de les raidir ? Moi je m’en souviens. J’étais cette petite voix qui te disait que cela ne servirait à rien. Cette même voix le soir qui te disait quand tu pleurais « je te l’avais bien dit ».


Quel malheur n’est-ce pas quand tout ce qu’on demande à une fille est d’être jolie et que l’on ne l’est pas. Et c’est une chose que l’on ne peut changer. On peut s’instruire quand on est mal dégrossie, on peut maigrir quand on est grosse ou se remplumer quand on est maigre. Mais lorsque l’on est laide on ne peut que s’arranger, cacher la misère comme on dit. Et redoubler d’effort pour attirer l’attention. Sourire, toujours sourire. Ne jamais laisser penser que l’on s’ennuie. Comme tu as pu pleurer, pauvre  petite fille. T’évertuant de plaire mais toujours éclipser par les autres.


Cela t’es passé enfin. Tu as choisi de te consacrer à un domaine où tu n’avais nul besoin d’être jolie : la connaissance. Tu trouvas le bonheur dans l’étude des mythes et des légendes dont tu aimais trouver les similitudes. Tu apprenais les langues anciennes aussi, le latin, le grec ancien, le vieux norrois et le babylonien. Bien sûr tu demandais l’aide de tes sœurs car tu étais jeune encore, pas aussi perfectionnée que tes aînées. Tu te pris d’affection pour les femmes savantes, notamment Hypatie femme libre et cultivée. Avec amusement tu te disais que peut-être avec du travail tu figurerais dans une liste d’expertes. Tu n’aurais pas ton portrait dans le journal des élégantes mais qu’importe tu serais une érudit. Pourtant tu ne pouvais t’empêcher d’envier tes sœurs. Tu te demandais pourquoi elles avaient été autant comblées par la nature. Elles étaient adorées, même Arina et son caractère rebelle. Quoique tu puisses faire tu ne parvenais jamais à leur niveau et malgré leur gentillesse à ton égard tu sentaient qu’elles ne te considéraient pas comme leur égale. Etait-ce une impression liée à un sentiment d’infériorité ? Comment le saurais-je ? Je ne suis que ta conscience, pas une entité omnisciente.


Si les chenilles deviennent des papillons, tu es restée chenille. Mais tu désirais suivre le même chemin que tes aînées. Elles parlaient de l’université et du Danemark avec tant d’enthousiasme. Naïvement tu pensais que tu trouverais ta place parmi des étudiantes passionnés. Mais tu te trompais. Ils se sont moqués de toi, comme tous les autres avant eux. Alors tu t’es réfugiée dans l’étude. Tu t’es donnée corps et âme à ton travail. Tu cherchais ta propre voie. Tu ne pouvais définitivement pas briller en mythologie car c’était la spécialité de Freya, ni en langues anciennes domaine d’Arina. Tu découvris l’archéologie, fascinée par les civilisations disparues et perdues dans l’oubli. A vingt ans, si jeune quand on y songe, tu étais diplômée et tu rentrais en Islande. Il fallait te voir alors pleine d’espoir et d’ambition. Si fière d’être un solide élément du trio des sœur Sorendóttir, alliées pour faire connaître la culture islandaise.

Mais ce bonheur fut de courte durée. Un homme, un être infecte. John Beechman. Il fit mine de s’intéresser à votre projet mais il n’avait en fait d’yeux que pour Freya et il la recruta dans son propre intérêt. Elle quitta l’Islande pour les Etats-Unis et tu lui en tiens toujours rigueur. L’odieux personnage se permit aussi de te faire des avances, de la plus abjecte manière. Pensait-il sincèrement que tu étais désespérée au point de te sentir flattée par ses manières vulgaires ? Il serait peut-être le seul homme à manifester un intérêt pour ta personne, aussi dégoûtant soit-il, mais tu avais ta fierté. Et tu avais raison. Tu n’étais ni une sotte, ni une gourgandine. Comme à ton habitude, l’étude fut ton réconfort. Tu lisais tous les articles sur les récentes fouilles archéologiques et les découvertes. Tu fouillais toi-même et découvris quelques morceaux de poteries, des pointes de flèches et des fragments de métaux divers. Rien de notable mais cela te faisait plaisir. Tu appréciais la compagnie de Thaddeus Thatch, ce chercheur qui avait réclamé l’aide de tes sœurs pour retrouver un bouclier viking. Et enfin l’aventure vint frapper à ta porte. La recherche de l’Atlantide. Tu voulais en être, il le fallait.