Ici Moony, 25 ans, rpgiste depuis plusieurs années déjà. Je tiens à préciser que rien de tout ceci n'est de ma faute! J'étais jeune, naïve et innocente! Mais ça c'était avant qu'on vienne me corrompre à coup de poste vacant! Toujours connectée à des heures impossibles, squatteuse de cb et collectionneuse de rp sympa. Je suis mignonne comme tout, vous allez voir, vous allez m'aimer   

- Voilà pour vous Ramirez! Bienvenue à bord du Georges Washington!

Le tampon apposa sa paraphe dans un claquement sonore, sortant Audrey de sa léthargie. L'atmosphère effervescente de l'office, exigue et surchargée de meubles et de casiers débordants de documents l'avait plongée dans une contemplation lointaine alors qu'on s'occupait de terminer ses papiers. Sur un regard enjoué, le petit homme à moustache lui tendis la fiche, ornée à présent du précieux visa. Du bruit tout autour, on sentait une certaine effervescence dans le bureau. Chacun allait et venait, les bras chargés de dossiers, se hélant d'un bout à l'autre de la salle, le cliquettement anarchique des machines à écrire rythmant ce brouhaha désordonné. Avec un hochement de tête bref, la jeune femme récupéra son sauf conduit et quitta les lieux sur un signe d'au revoir. Drôle d'endroit que ce bureau anonyme où on lui avait donné rendez-vous pour finaliser son embarquement, plus drôle encore les circonstances de son embauche. Et pourtant de l'extérieur, rien ne laissait présager une telle activité. Un immeuble comme il en existait d'autres dans cette ville, une façade tout ce qu'il y avait de plus banale et passé la porte d'entrée, cela changeait du tout au tout. Tout s'entourait d'un voile de mystère. Un message lui demandant de se rendre à Washington, un lieu, une date et rien de plus. Le commanditaire était resté anonyme et hormis quelques murmures glanés de ci delà, la jeune femme ignorait jusqu'à la raison exacte de cette mission. Peu adepte des secrets, Audrey sentait que sa curiosité s'aiguisait à mesure qu'approchait l'échéance.

C'était donc ça? La grande aventure à laquelle elle rêvait vaguement étant enfant était peut être sur le point de commencer. Et elle était bien loin d'Austin et de son Texas natal. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas pensé à sa ville d'origine, là où elle avait vu le jour, des milliers de kilomètres plus au sud. L'hispanique n'avait plus revu les lieux depuis des années, entraînée dès son plus jeune âge vers des états plus au nord où ne planait pas l'ombre d'une guerre qui les avait tous mis sur la paille. Ils n'avaient pas beaucoup d'argent à l'époque, à peine de quoi suffire à un couple issu de l'immigration, des belles années du Texas où être d'ascendance espagnole et mexicaine sur ces terres ne constituait pas un sujet de discorde. Audrey n'en gardait que des souvenirs brouillés, de sa mère, ancienne institutrice qui lui lisait des histoires le soir, de son père mécanicien, que poursuivait toujours l'odeur de la suie et de l'huile. Et puis la guerre de Sécession était passée par là et les Ramirez avaient perdu la plupart de leurs maigres possessions. Lorsqu'Audrey vient au monde, les Etats-Unis sont à l'aube du conflit. Elle ne garde qu'un souvenir lointain de cette période. Le regard inquiet de ses parents, l'air triste et anxieux de sa mère, des images fugitives issues de sa petite enfance. Elle ne comprenait pas à l'époque que le reste du pays était à feu et à sang, elle était bien trop jeune pour le réaliser.

Lorsque ses parents et ses deux soeurs aînées quittent le sud pour s'établir à Philadelphie, elle a presque six ans et les états confédérés viennent d'essuyer une défaite retentissante face à l'Union. Le Texas a été plus épargné que le reste du pays mais il n'empêche que faire parti du camp qui a tout perdu n'était clairement pas un sort enviable et la petite famille qui n'était déjà pas bien riche est presque ruinée. C'est un nouveau départ, une toute nouvelle vie pour eux et c'est à cette époque que Fernando Ramirez trouve à s'employer sur les ports, réparant les navires et participant à leur construction. C'est une vie difficile mais qui lui a permis de renouer avec une passion qu'il exerçait au Texas en travaillant sur les chantiers ferroviaires. Audrey a toujours eut l'impression qu'il les observait, elle et ses sœurs avec un brin de regret, lui qui n'a eut que des filles et rêvait d'avoir un fils à qui transmettre son amour de la mécanique. Surtout que deux autres petites filles sont venues s'ajouter à la fratrie. Peut être est-ce un peu pour cette raison que la jeune femme s'est mise à le suivre, toute jeune, marchant sur les traces de ses sœurs.

Cinq filles, cinq tête brunes, unies comme les doigts d'une même main. Elles ont des caractères bien différents et sont pourtant inséparables. Audrey garde le souvenir de ses aînées, présence rassurante à ses côtés, tantôt affectueuses, tantôt moqueuses lorsque venait l'heure des chamailleries. Elles ont passé des heures à jouer sur le port étant plus jeunes, courant le long des digues sous le regard amusé des dockers. Puis les années ont passé et la jeune femme a suivi les traces de son paternel, devenant elle même la protectrice de ses deux cadettes. Les sœurs Ramirez n'ont jamais cessé d'imiter leur père, apprenant de son expérience et poursuivant dans sa lignée. Un peu par envie, un peu poussées par cet homme qui ne pouvait se résoudre à accepter ce que le sort lui avait donné. Déjà adolescente, le port n'a plus aucun secret pour l'adolescente brune qui connaît chacun de ses bassins sur le bout des doigts, chaque digue, chaque bâtiment. Elle a passé des après-midi entiers à suivre les dockers, à explorer les bateaux sur lesquels travaillait son père, à décortiquer l'intérieur de ces machines, les mains pleines de suie. Parfois, lorsqu'elle rentre chez elle, le visage barbouillé, sous les soupirs résignés de sa mère, Audrey a l'impression d'apercevoir une étincelle de fierté dans le regard de son père. Mais a-t-elle rêvé? Ca n'est pas dans leur famille que l'on a le loisir de se répandre en déclarations, le couple parvient tout juste à sortir la tête de l'eau pour élever les cinq enfants de la maisonnée et Audrey n'aura pas tardé à prendre le même chemin afin d'aider du mieux qu'elle peut. Peut être que sa mère auraient aimé une autre vie pour ses filles chéries, un destin plus classique et moins semé d'embuche. Mais elle a tiré un trait sur cette idée depuis bien longtemps. Si d'autres de ses soeurs finiront très probablement par choisir une autre voie, Audrey sait très bien où se trouve son futur. Et il n'a rien à voir avec ce qu'on peut attendre d'une jeune femme de son temps. Aussi atypique que fut sa jeunesse auprès de ce père qui lui a tout appris, son choix le sera tout autant et continu de surprendre ses collègues, stupéfaits de voir une femme à bord d'un bateau, maîtrisant aussi bien si ce n'est mieux qu'eux le fonctionnement de ces machineries.

Choix difficile que le sien, ça n'est pas une vie simple mais la jeune femme a une passion pour son métier. Le siècle touche à sa fin et le monde n'a jamais autant fourmillé d'inventions et de nouveautés qui l'émerveillent. La mécanicienne observe avec fascination cette société en pleine mutation, répondant à peine aux sirènes de la modernité. Ses choix n'ont pas toujours été compris ni acceptés mais têtue et impulsive, la brune a toujours fait respecter ses décisions, avec force s'il le faut. Ceux qui la rencontrent, découvrent rapidement une tête brûlée, aussi vive que déterminée, nullement apeurée par cet univers masculin dans lequel elle se fond sans peine. Son franc parler surprend, sa familiarité prête à sourire et le moins qu'on puisse dire c'est que son langage peu châtié lui a fait autant d'amis que d'ennemis. Enjouée, dynamique, si elle a la répartie facile, elle manque de pondération et compte déjà quelques altercations à son actif. Un don qu'elle garde de sa jeunesse où sa mère désespérait de la voir rentrer à la maison sans la moindre intention de se caser mais toujours avec un nouvel hématome. Comment pourrait-elle? Trouver quelqu'un, se marier, vivre une vie rangée? Le sort en a décidé autrement et les choses de l'amour et des hommes ne l'intéressent nullement, tout du moins pas au sens où on l'entend et Audrey garde ses regards pour elle, comme un secret coupable. Si elle se laissera séduire, ça n'est pas par eux. Mais ça n'est pas quelque chose dont on parle, encore moins des choses à avouer en société.

Le temps a passé et ses pas l'ont conduite jusqu'à New York. Si Philadelphie n'avait plus de secret pour elle, Audrey découvre un univers bien plus vaste dans lequel elle plonge avec curiosité. C'est le hasard qui l'a menée jusqu'au Georges Washington, introduite fortuitement à bord du bâtiment un beau matin. Le navire est encore en construction, les dysfonctionnements sont nombreux et l'on doit à la brune d'avoir réparé l'un de ceux qui l'empêchait jusqu'à maintenant de faire fonctionner ses moteurs. Une conversation surprise sur un quai et sa curiosité fit le reste, la jeune femme ne tarda pas à convaincre un jeune ouvrier de la laisser jeter un oeil. Elle pensait vaguement à la récompense, n'imaginant pas une seule seconde qu'on lui proposerait une place à bord. D'abord réticent, le capitaine s'est laissé gagner par son enthousiasme et son répondant. Et les choses se sont enchaînées. Audrey a accepté avant même d'y avoir réellement réfléchi, cédant aux sirènes de l'aventure et de la découverte. Ne croyant pas sa chance de pouvoir exercer son métier dans un univers aussi fascinant.

L'étape suivante la conduisit ici, à Washington, pour un rendez-vous mystérieux dont elle ne connaît que les grandes lignes. Qui est son employeur, quel est le motif de la mission? La brune l'ignore encore et n'a eut l'occasion de croiser personne, hormis ces employés de bureau et ces quelques volontaires ayant répondu à l'appel tout comme elle, rencontrés à bord lors de sa première incursion. Des bruits circulaient déjà à New York. Alors qu'elle se penchait sur sa tâche, la brune avait tendu l'oreille avant de se désintéresser de tout cela. On y parlait de destination mystérieuse et de contrées disparues et ensevelies. Jolies fantaisies mais qui n'avaient pas suffit à capter son attention bien plus pragmatique. Le navire semble s'entourer d'un voile de mystère et au lieu de s'effrayer, la jeune femme se sent attirée plus que jamais vers ces énigmes.

Un bruit de pas précipités l'arracha à sa réflexion. D'un coup d'oeil par dessus son épaule, elle aperçut le jeune homme qui accourait vers elle. L'allure débraillée, cheveux en bataille, couvre chef vissé sur le front et cigarette éteinte au bec.  Bien plus jeune que ses trente ans, probablement à peine l'âge requis pour participer à une telle mission. Sur ses traits se lisent encore la naïveté de la jeunesse et la curiosité pour l'inconnu. Les mêmes qui l'ont poussé à laisser Audrey monter à bord du Georges Washington, ce jour là, à New York. Il donnait l'impression de venir du même bâtiment et d'avoir parcouru toute la rue au pas de charge, ses précieux papiers coincés sous le bras. A bout de souffle, il s'arrêta à sa hauteur, mains sur les genoux pour retrouver ses esprits.

- Ramirez! T'aurais pas du feu? Lança-t-il finalement lorsque qu'il pu reprendre une allure un peu plus normale
- Tu m'prend pour l'assistance publique? Railla-t-elle, j'ai l'air de faire dans le gratuit?
- Y a pas à dire la Mejicana, murmura-t-il sur le ton du sarcasme, ça va être un plaisir de travailler avec toi!
- Fais pas cette tête, tu vas adorer ça! Répondit la brune avec un rictus moqueur

Déjà elle reprenait sa route, le futur machiniste à ses côtés, reparti dans un de ses longs discours sur sa hâte d'entamer le voyage. Où iraient-ils? Croyait-elle qu'on leur dévoilerait tout bientôt? Et la date du départ? L'en avait-on informée? Audrey ne l'écoutait plus que d'une oreille, déjà lointaine. Le jour tombait sur la capitale fédérale et les derniers lampadaires à gaz de la ville s'éveillaient gentiment sous l'action des allumeurs de réverbère, profitant de leurs quelques mois de répit avant que ne les supplante l'arrivée de la fée électricité. Mais à ce moment là elle serait déjà loin. Où cela? A faire quoi? Elle l'ignorait encore mais une petite voix ne pouvait s'empêcher de se questionner, sachant qu'elle ne tarderait certainement pas à trouver des réponses.